In the heart of the Mountains
Merveilleuse, fantastique, magique, mystique, la montagne constitue un lieu de rencontres fortuites et fantasmées, de rêves et de cauchemars où l’individu se trouve en proie à ses démons intérieurs. Gravir un sommet revient à monter sur la canopée du monde, à se retrouver face à soi-même, face à ses interrogations, ses angoisses et ses blessures. La montagne conduit éventuellement à une perte du sens de la réalité, à une fracture, à une dissociation, voire à une dislocation de son identité. Délicieusement dangereuse, l'ascension sur ces sommets les plus hauts du monde correspond à la fois à une tentative d’introspection et à une mort potentielle.
Il ne faut pas assimiler l'alpiniste à un voyant qui possède le don de l’intuition et de la prescience divine, par lequel il pénètre dans l’univers de l’impossible et du surnaturel.
Bien au contraire, sa voyance est associée à la lucidité, au contrôle sévère de la conscience et à la maîtrise absolue des puissances de l’esprit ; elle ne résulte en aucune manière de quelque délire onirique, des forces de l’instinct ou de l’involontaire, mais de la possession totale de son être et de ses facultés.
Les himalayistes entendent le chant de la montagne. Toutes les montagnes ont leur propre chant, leur propre voix, à travers les vents. Et quand les vents tombent, la montagne devient silencieuse, tellement silencieuse qu'ils croient entendre ce silence. C'est là, en ne percevant plus que les battements de leurs cœurs, qu'ils prennent conscience de leurs engagements et qu'ils se sentent pleinement vivants. Dans la vie quotidienne, on se laisse épuiser par le nombre de choses qu'on croit devoir faire... ou qu'on pourrait faire. Quand on prend son temps, quand on limite le nombre d'options au maximum, on goûte pleinement à l'existence.
Contrairement à une idée reçue, les himalayistes ne se fixent pas comme objectif d'atteindre le sommet. En grimpant, ils ne pensent qu'à descendre. De manière obsessionnelle. Le vrai sommet, c'est le retour au camp de base. Entier. Vivant. Contrairement au dicton, le temps n'est pas de l'argent, c'est la vie même.
Une ténacité sans faille accompagne l'homme de montagne. Il ne lâche jamais rien et il se surprend très souvent à dire : "Soudain, je ne sais plus. Une petite voix me dit que je n'ai qu'à faire marche arrière, que tout le monde comprendra et que personne ne m'en voudra. Peut-être, mais moi... qu'est-ce que je penserai de moi ?"